Très rapidement dans mes recherches autour de la douance, j’ai entendu parler du faux-self. Quoi que, c’est même arrivé avant : juste après les résultats de mes tests de QI. Le travail sur le faux et le vrai-self a été une des premières missions de ma psychologue. À l’époque, elle m’avait expliqué que ce travail d’introspection était essentiel pour devenir un adulte zèbre épanoui. Aujourd’hui, avec le recul, je me rends compte qu’elle avait totalement raison. J’ai donc souhaité, au sein de cet article, vous retracer le cheminement de ce travail que nous avons fait, il y a une dizaine d’années.
Au cours de cet article, je vais donc commencer par expliquer plus en détails ce qu’est le vrai-self puis ce qu’est le faux-self. Après cette partie psychologique — voire psychanalytique — j’expliquerai les implications de cette « fausse schizophrénie » pour les surdoués, ainsi que les dangers potentiels. Enfin, je terminerai avec les exercices que nous avions mis en place et qui m’avaient permis de, petit à petit, retrouver mon vrai-self.
C’est quoi le faux-self ?
Vous le savez très certainement si vous avez déjà parcouru quelques autres pages de ce site : le faux self est une sorte de masque social qui sert à protéger notre vrai nous (notre vrai-self) du monde extérieur. Tout le monde possède cette seconde personnalité. On l’utilise dans des moments où la contrainte sociale est importante. Par exemple, lors d’un entretien d’embauche, je parie que vous n’allez pas être totalement honnête avec le recruteur sur votre véritable personnalité. Vous jouez un jeu. Et c’est totalement normal et sain ! Cet équilibre vrai / faux self est nécessaire dans une vie en communauté. Le problème, c’est quand cet équilibre n’est pas maîtrisé et que le faux self prend toute la place.
Avant d’aller plus loin dans mes explications, il est nécessaire que je vous raconte deux ou trois points plus techniques. Il me semble en effet nécessaire de comprendre la psychologie derrière ces concepts pour pouvoir, par la suite, les traiter au mieux. Désolé d’avance, je vais essayer de faire au mieux !
Définition du vrai-self
Commençons par nous intéresser au vrai self. Le concept a été introduit par le pédiatre et psychologue britannique Donald Winnicott. Je vais le simplifier à l’extrême, mais si le sujet vous intéresse je vous conseille vraiment de lire ses livres, ils sont très intéressants !
En gros, lors de la construction de sa personnalité, l’enfant va avoir des comportements (gestes, paroles, etc.). En fonction des retours qu’il reçoit, il enregistre que son comportement est « validé » ou non. Prenons un exemple : en maternelle, lorsque je revenais de l’école avec un bon point de la maîtresse, mes parents me félicitaient. Mon comportement était donc validé, et je peux en déduire que la société attend de moi que je continue. Par contre, si j’avais décidé de faire pipi au milieu du salon, je pense que je me serais fait gronder. Là, je comprends que mon comportement n’est pas validé, et qu’il ne faut pas le faire. Jusque-là tout va bien ?
Bon, maintenant voyons ce que dit Winnicott. Selon lui, au début, l’enfant ne va chercher à exprimer (par les gestes, les comportements, etc.) que son vrai-self. Si les retours sont positifs, alors sa confiance en lui augmente, et il comprend que son vrai self est validé. En fait, le vrai self (parfois également appelé juste self) est l’image que l’on se fait de soi et qui correspond à ce que l’on est. Il se construit lorsque nos comportements véritables et propres sont validés. Toujours selon Winnicott, seul le vrai self est créateur et peut être ressenti comme réel.
Je me permets une petite précision : dans son livre, Winnicott ne parle que des retours faits par la « mère suffisamment bonne ». C’est elle qui répond de manière équilibrée aux besoins de son enfants (ni trop, ni trop peu). Le livre a été écrit à une période où seule la mère était garante de l’éducation des enfants. Cependant, je pense qu’aujourd’hui cette idée d’éducation uniquement maternelle n’est plus d’actualité, et que l’on pourrait plutôt parler de « parents suffisamment bons », voire juste de « source d’autorité ». C’est d’ailleurs ce dernier terme que je vais choisir d’utiliser, car il me permet de faire également référence à d’autres sources (professeurs, patrons, etc.).
Définition du faux-self
Passons au faux-self maintenant. Si l’enfant reçoit des retours négatifs lorsqu’il montre son vrai self, alors il en déduit que sa personnalité véritable n’est pas acceptée. Il commence donc à se construire une carapace, un masque, une fausse personnalité, pour s’adapter à ce qu’il pense que la société attend de lui. Il se développe de manière particulièrement forte chez les enfants trop brimés par leurs parents. Leur vrai self part se cacher lorsqu’ils sont jeunes, et ne revient pas par la suite (à l’école, au travail, etc.). Par exemple, un petit garçon très sensible pourra se faire gronder par ses parents parce que « un homme, ça pleure pas ». Le petit garçon en déduit que son vrai self (sa grande sensibilité) n’est pas validé, donc il commence peu à peu à porter un masque social avec lequel il fait croire qu’il n’est pas si sensible que ça.
Globalement, le faux self se développe chez tout le monde. On l’utilise dans des situations qui ont des contraintes sociales : être poli, avoir de bonnes manières, etc. C’est une (fausse) personnalité que l’on construit et dont le but est de s’adapter à une situation contraignante. Elle tente de copier au mieux l’image de nous qui est attendue par le groupe.
Donc je récapitule : en grandissant, on exprime notre vrai self. Si on s’aperçoit qu’il est accepté par nos sources d’autorité, alors on gagne confiance en nous et on l’exprime de plus en plus. Si, au contraire, il n’est pas accepté, alors on construit une seconde personnalité (le faux self) qui s’adapte à ce que l’on estime que l’autorité attend de nous.
Les 5 degrés d’organisation du faux-self
Winnicott continue et propose une « échelle » du faux self, parfois appelée les 5 degrés d’organisation du faux self. Il s’agit en fait plutôt d’un continuum sur lequel on positionne notre équilibre faux / vrai self. Il a pour extrêmes :
- Le cas où le vrai self s’exprime et permet de développer le potentiel. Le faux self est présent : il sert à protéger la véritable personnalité des agressions en utilisant des « mensonges utiles » (politesse, etc.) ;
- Le cas où le vrai self ne s’exprime pas. Il n’est pas apparent et est toujours dissimulé. En effet, le faux self a pris le contrôle. Il peut donner aux autres la sensation la sensation d’être une personne fausse. Au final, on finit par s’isoler.
Tout au long de notre vie, on a tendance à « se balader » sur ce continuum. Cela varie en fonction des circonstances particulières de nos vie : l’éducation, des changements (de pays, de culture), la perception d’un danger, etc. Dans ces moments-là, l’individu calque son comportement sur l’autorité qui l’entoure et met en place un faux-self protecteur.
Encore une fois l’équilibre vrai/faux self est normal est sain. Tant que le vrai self ne disparaît pas, il n’y a pas de danger pathologique.
Le faux-self chez les surdoués
Voilà pour la partie théorique générale. Maintenant, je vais ajouter une petite précision sur le faux self chez le surdoué.
Monique de Kermadec explique que ce modèle (dont je viens de parler) ne s’applique pas vraiment chez l’adulte zèbre. En fait, la différence dans son fonctionnement et sa pensée est telle qu’elle ne correspond en rien aux attentes de son autorité (généralement les parents dans le cas des enfants). Ainsi, on observe la création très rapide d’un faux self qui vient carrément étouffer le vrai self. En effet, la personnalité authentique du haut potentiel intellectuel est vécue par les autres comme une véritable source d’angoisses, d’inquiétudes, voire de répulsion. En somme, l’individu ne perçoit que des retours négatifs de son comportement véritable de la part de son entourage.
Le faux self est alors complètement piloté par le cerveau. Par exemple, l’enfant précoce peut donner de bons résultats scolaires à ses parents car il remarque qu’ils sont attendus. Ça, il arrive plus ou moins à le faire. Il porte ce masque social car il a, avant tout, besoin d’être aimé — même s’il préfèrerait être aimé pour ce qu’il est.
Je souhaite légèrement nuancer ces précédentes lignes qui résument l’avis de Monique de Kermadec. Dans mon cas, heureusement, ce n’était pas si brutal — surtout dans le milieu familial. Je n’ai jamais eu aucun retour négatif quant à mon vrai self de la part de mes parents. Winnicott aurait certainement dit que j’avais donc une mère suffisamment bonne — et c’est peut-être vrai. Les difficultés sont apparues avec mes camarades d’école principalement. Du moins, je pense que c’est surtout la perception que j’avais de leurs retours qui m’a fait mal. Aujourd’hui, je me rends compte que ce n’était pas si dramatique.
Les dangers du faux-self
Quand ma psy m’a parlé de tout ça la première fois, j’étais un peu perdu. Au pire, où est le problème ? Je ne voyais pas ce qu’il y avait de grave. Sauf qu’en fait, il y a de vrais dangers à ne pas laisser vivre son vrai self. Tout d’abord, le haut potentiel passe complètement à côté de sa vie. Au mieux, il survit mais n’en retire aucune satisfaction. Alors d’accord, on évite les agressions ; mais au fond, on y gagne quoi par la suite ? Où est l’épanouissement personnel ? La vie, ce n’est pas juste une succession de journées. C’est bien plus que ça. Et en plus, peut-être que l’on se fera des amis ou se sentira inclus dans un groupe social. Cependant, cette personne n’est pas nous. Le faux self ne donne pas de réel sentiment d’appartenance.
Mais tenez-vous bien, trop de faux self met aussi en péril notre santé. Monique de Kermadec explique qu’un trop grand décalage entre ce que l’on est et ce que l’on montre peut produire une véritable crise d’identité, voire un sentiment dépressif, de l’amertume, de l’aigreur, et un refus de répondre à notre élan créatif. Pour un surdoué, c’est vraiment triste de laisser tomber sa créativité.
Dans mon cas, mon faux self avait pour principal but de ne laisser passer aucune de mes émotions. J’étais un véritable mur, comme une coquille fade, sans relief. Le problème c’est que mon vrai self, étouffé comme jamais au fond de mon esprit, lui, continuait à ressentir les choses. Peu à peu, j’ai emmagasiné tellement de charges émotionnelles sans jamais les exprimer qu’elles se sont mélangées et ressortaient sans que je ne puisse les contrôler. J’étais une cocotte-minute prête à exploser.
Et puis, j’avais complètement perdu le contrôle sur la façon dont un sentiment pouvait s’exprimer. Un film drôle ? Je versais ma petite larme. Une situation dangereuse ? J’explosais de rire. Absolument rien ? Une crise d’angoisse. J’étais perdu parmi ces émotions qui ressortaient, sans comprendre d’où elles venaient. Peu à peu, on oublie son vrai self, et on se persuade que ce que l’on montre est réellement ce que l’on est. J’étais persuadé que j’étais insensible à la vie.
Se libérer de son faux-self et retrouver son vrai-self
C’est donc, perdu dans ce flot de sensations que je pensais étrangères et l’arrivée d’un sentiment dépressif, que j’ai souhaité aller voir une psychologue. La suite de l’histoire, c’est la découverte de ma douance et un gros travail sur moi-même pour différencier ce qui était moi et ce qui ne l’était pas.
Ce travail de libération pour retrouver mon vrai-self s’est fait en trois étapes — que je vais décrire juste après. Chaque situation est différente, donc ne prenez pas tout mot pour mot. Néanmoins, je pense que la méthode est facilement applicable à tout un chacun. Enfin, mes écrits ne valent en rien les conseils personnalisés et professionnels d’un professionnel ! N’oubliez pas qu’en cas de doute, il n’y a qu’une seule chose à faire : valider votre douance avec un test de QI, puis vous faire accompagner par quelqu’un d’autre qu’un inconnu qui dessine des hommes-bâtons sur internet.
1. La naissance du faux-self
La première étape, c’est de trouver à partir de quel moment de votre vie vous avez laissé le guidon à votre faux self. Ce changement de pilote (du vrai au faux self) peut avoir eu lieu petit à petit (vous avez été brimé toute votre enfance par vos parents), ou d’un coup sec (une réflexion qui vous a marqué profondément).
Pour moi, ça a été au cours de deux discussions de mon enfance. Deux moments qui ont eu des répercutions énormes !
Ce premier moment, c’était en fin d’école primaire. Tout le monde jouait au foot dans la cour de récréation, mais personne ne voulait jamais de moi dans son équipe (j’étais un joueur catastrophique, je ne leur en veux pas). Alors, j’allais pleurer dans un coin, seul, mal-aimé. Un jour, une de mes copines est venue me voir et m’a dit « Tu sais Paul, si personne ne te veut c’est pas parce que tu es nul. C’est parce que tu pleures trop ». Bam. Ça a été un choc. À partir de ce jour, j’ai « compris » qu’exprimer ses sentiments ne m’apporterait rien de bon. À partir de ce jour, j’ai commencé à enterrer mon vrai-self, ce petit Paul sensible.
Le second moment, c’était pas longtemps après, au début du collège. J’avais des résultats scolaires exemplaires. J’adorais apprendre, bien travailler, et comprendre le monde. J’allais au collège avec mon voisin qui était, contrairement à moi, très populaire. Un jour, j’ai osé lui demander pourquoi lui était toujours invité partout, et pas moi. Il m’a répondu que « les boulettes » (comprenez les intellos) comme moi étaient mal vues. Avoir des bonnes notes et aimer l’école, c’est pas cool. Deuxième choc, deuxième transformation : je suis entré dans un déni de mon amour pour l’école (sans pour autant compromettre mes résultats). J’expliquais ne pas aimer les cours, mais que j’étais juste bon dedans, sans bosser. Et j’ai fini par m’en convaincre moi-même.
2. Reconnaître un faux-self
La seconde étape consiste à faire connaissance avec votre faux self. L’idée, c’est d’observer vos comportements, vos réactions, votre vie, depuis le(s) moment(s) identifiés précédemment. Demandez-vous comment vous en êtes arrivé là ? Ces actes sont-ils les vôtres ? C’est une période propice à un retour sur votre passé.
Il s’agit de comparer ce que vous savez de vous et ce que les autres pensent savoir de vous. Observez également vos mécanismes de défense : avez-vous choisi de vous fondre dans le décor ? Avez-vous pris la voie de la violence ? De la révolte ? De l’ignorance ?
Pour moi, ça a clairement été l’étape la plus longue. En effet, ça prend un peu de temps de revivre sa vie. Mais à partir du moment où j’ai identifié les deux moments depuis lesquels mon faux self a pris le contrôle, j’ai réussi à me « souvenir » de mon vrai self. Et dès ce moment, j’ai commencé à tout revoir, tout repenser, mais en voyant mon faux self de l’extérieur. Je me suis rendu compte que j’avais laissé les commandes à cet imposteur qui n’était pas moi — du moins pas vraiment. C’est vraiment bizarre comme situation. J’étais devenu cette autre personne que je ne reconnaissais pas, qui était insensible et froide, et qui se rebellait à l’école. Il était loin, le petit Paul sensible qui adorait ses cours.
3. Exprimer son vrai-self
La troisième et dernière étape est, vous vous en doutez certainement, l’expression de son vrai self. Cependant, à ma grande surprise, c’est cette étape qui a été la plus difficile pour moi (pas la plus longue, mais la plus rude).
Il faut bien comprendre que la mise en place d’un faux self est le fruit du déni de son identité profonde. Dans mes souvenirs, le petit Paul avait l’air sympa, il était plein de vie, pétillant. Mais que se passe-t-il si, en fait, mon vrai self était une personnalité vide, froide, triste ? Est-ce que, en fin de compte, ce n’était pas une bonne idée de laisser tout ça caché ?
Des remises en question comme ça, j’en ai vécues des tas. Cela vous arrivera aussi. Mais j’ai préféré tenter le coup. Quitte à avoir une personnalité froide et vide, autant que ça soit la mienne, et pas ce faux self insensible. Je voulais être moi, me retrouver. Alors j’y suis allé, mais petit à petit. Au début via un blog (eh ouais, celui-ci n’est pas mon premier). Il me permettait de « tester » ma personnalité dans un milieu clos. J’étais moi, dans toute ma splendeur, ma créativité, mes hauts, mes bas, mes tableaux Excel adorés. Et pour le coup, ça a marché. J’ai rarement été aussi populaire. Alors petit à petit, je me suis ouvert à des personnes de la « vraie vie ». Tout s’est bien passé, alors j’ai continué. Et aujourd’hui, ça se fait automatiquement et c’est fantastique. Croyez-moi, ça vaut le coup.
Conclusion
Le faux self est notre masque social qui adapte notre personnalité en fonction de ce que l’on pense que la norme a besoin que l’on fasse. Tout le monde a cet équilibre sain entre son faux et son vrai self. Le problème arrive quand le vrai self est totalement étouffé et invisible. S’en suite un crise identitaire profonde, qui débouche régulièrement sur des états dépressifs.
Ce camouflage de sa véritable personnalité est très fréquent chez les adultes zèbres qui se sentent constamment en décalage avec leur environnement. Pour être moins bizarres (ou du moins se sentir moins différents), ils portent ce masque social et, peu à peu, oublient qui ils sont réellement.
Pour renouer avec votre vrai self, je vous conseille une méthode en trois étapes :
- Trouvez à partir de quel(s) moment(s) de votre vie vous avez laissé les commandes à votre faux self ;
- Observez comment, depuis ce(s) moment(s), votre faux self vous a fait prendre des décisions qui ne sont pas celles que vous auriez normalement prises ;
- Exprimez votre véritable personnalité.
Ce changement ne se fait pas en un jour, et demandera beaucoup d’introspection et de volonté de votre part. Néanmoins, pour l’avoir fait, sachez que le jeu en vaut (largement !) la chandelle.
NB : tout comme chaque haut potentiel est différent, la façon dont chacun expérimente son faux-self est différente.
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